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Environnement : portée et applications du principe de non régression

Par sa décision DC n°2020-209 du 10 décembre 2020, le Conseil Constitutionnel a jugé conformes à la Constitution les dispositions de la loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières, qui permettent de déroger, de manière transitoire, à l’interdiction des néonicotinoïdes.


Par cette décision, le Conseil constitutionnel a refusé d'ériger le principe de « non régression des protection de l’environnement » au rang constitutionnel.


Cette décision clôt temporairement (en attendant en tout cas un éventuel référendum sur la Constitution) un débat sur la valeur du principe de non régression. Elle est l’occasion de rappeler le sens, la portée et les premières applications de ce principe récent du droit de l'environnement.


I. Définition du principe de non régression


Le principe de non régression a été introduit en droit français par la loi n°2016-1087 du 8 août 2016 après de longs débats doctrinaux et parlementaires.


Aux termes de l’article L. 110-1 II 9° du Code de l’environnement, dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1087 du 8 août 2016, le principe de non régression est le principe :


« selon lequel la protection de l'environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ».


Il faut comprendre ce texte à la lumière des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption (très disputée sur ce point) de la loi n°2016-1087 du 8 août 2016, notamment des explications de la députée rapporteure, Madame Geneviève Gaillard qui a défendu en ces termes ce principe :


Je présenterai brièvement le texte issu des travaux en commission, ainsi que les amendements que je vous propose d’adopter aujourd’hui. J’insisterai sur trois d’entre eux. Au début de cette nouvelle lecture, nous devons prêter une attention particulière aux principes fondateurs du Code de l’environnement. Je suis particulièrement attachée au principe de non-régression, qui constitue un aspect fondamental de ce texte ; c’est pourtant sur ce point qu’a achoppé la commission mixte paritaire. Ce principe est capital : en l’absence d’une telle disposition, il se trouvera toujours une bonne raison d’abaisser le niveau de protection de l’environnement. J’ai proposé, en commission, de rendre sa rédaction plus dynamique, en soulignant que la notion d’amélioration constante », appliquée à la protection de l’environnement, doit s’entendre « compte tenu des connaissances scientifiques et techniques”.


Selon la parlementaire, ce principe prévoit qu’on ne peut pas abaisser le niveau de protection de l’environnement :


C’est un principe de progrès selon lequel la protection de l’environnement ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante.

C’est un principe d’action et non d’interdiction : il n’interdit pas de modifier la règle existante dès lors que cela n’entraîne pas un recul de la protection.

Ce principe est l’expression d’un devoir qui doit s’imposer aux pouvoirs publics au-delà des alternances politiques. Il ne s’agit pas du tout, comme je l’ai entendu dire, de remettre en cause les outils réglementaires de régulation des espèces, fussent-elles protégées, ni de faire disparaître les plans de gestion, ni de nier les progrès scientifiques ou techniques. Ce principe est le corollaire de l’article 2 de la charte de l’environnement, selon lequel « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement.”




II. Portée du principe de non régression


Lors de son adoption, ce principe avait un contour assez flou. L'opposition, estimant que l’on mettait des chaines aux pieds des parlementaires futurs, a saisi le Conseil constitutionnel pour que soient déclarées non conformes à la Constitution ces dispositions de la loi du 8 août 2016 relatives au principe de non régression.


Par une décision n° 2016-737 DC du 4 août 2016, le Conseil constitutionnel a déclaré le principe législatif de non régression de la protection de l’environnement conforme à la Constitution au terme d'une analyse interprétative (qualifiée par certains de « rabotage sévère » ce qui est sans doute un peu excessif).


La décision n°2016-737 DC juge ainsi :


8. Les députés requérants soutiennent que ces dispositions, qui auraient pour effet de restreindre la liberté du pouvoir législatif et du pouvoir réglementaire, méconnaissent la « liberté de légiférer » protégée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et la souveraineté nationale garantie par l'article 3 de la Constitution. Les sénateurs requérants estiment que ces mêmes dispositions sont contraires à la hiérarchie des normes et aux articles 39 et 44 de la Constitution dès lors que seule la Constitution peut limiter le pouvoir du législateur. Ils font également valoir que, si ces dispositions sont interprétées comme ne contraignant pas le législateur, elles sont alors contraires à l'exigence selon laquelle la loi édicte des normes. Enfin, selon eux, ces dispositions méconnaissent aussi l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi et le principe de précaution garanti par l'article 5 de la Charte de l'environnement.

9. En premier lieu, selon l'article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi est l'expression de la volonté générale... ». Il résulte de cet article comme de l'ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l'objet de la loi que, sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit par suite être revêtue d'une portée normative.

10. Les dispositions contestées énoncent un principe d'amélioration constante de la protection de l'environnement, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment. Ce principe s'impose, dans le cadre des dispositions législatives propres à chaque matière, au pouvoir réglementaire. Contrairement à ce que soutiennent les sénateurs requérants, ces dispositions ne sont donc pas dépourvues de portée normative.

11. En deuxième lieu, il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter, pour la réalisation ou la conciliation d'objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité. Il peut également à cette fin modifier des textes antérieurs ou abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Dans l'un et l'autre cas, il ne saurait priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel. Les griefs tirés de ce que les dispositions contestées méconnaîtraient l'article 2 de la Déclaration de 1789 et les articles 3, 39 et 44 de la Constitution doivent donc être écartés.

12. En troisième lieu, selon l'article 5 de la Charte de l'environnement : « Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».

13. Les dispositions contestées ont pour objet de favoriser l'amélioration constante de la protection de l'environnement et ne font pas obstacle à ce que le législateur modifie ou abroge des mesures adoptées provisoirement en application de l'article 5 de la Charte de l'environnement pour mettre en œuvre le principe de précaution. Dès lors le grief tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient le principe de précaution est inopérant.

14. En dernier lieu, l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques. Il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi.

15. Contrairement à ce que soutiennent les sénateurs requérants, les dispositions du dernier alinéa de l'article 2 de la loi déférée ne sont entachées d'aucune inintelligibilité. Le grief doit par conséquent être écarté”.


Cette décision a apporté deux précisions sur la portée du principe.


Premièrement, le principe de non régression s’impose au pouvoir réglementaire. Il a donc bien une portée normative.


Deuxièmement, le principe de non régression n’a pas de valeur constitutionnelle. Il ne s’impose donc pas au pouvoir législatif, uniquement au pouvoir réglementaire. Le Conseil constitutionnel l’a confirmé dans sa décision du 10 décembre 2020 rejetant le recours formé contre la loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières (Décision DC n°2020-209 du 10 décembre 2020). En l’état actuel du texte de la Charte de l’environnement, il y avait d’ailleurs trop d’hésitations sur le principe même d’un effet de cliquet imposé au législateur en cette matière, comme d’une manière générale en matière de libertés fondamentales (voir Malverti et Beaufils, Chronique de jurisprudence du Conseil d’Etat – Principe de non régression : on avance, AJDA, 23 novembre 2020, n°39, p. 2246).




III. Premières applications du principe de non régression


Le juge administratif, en particulier le Conseil d’Etat, s’est emparé du principe de non régression (3 décisions du Conseil constitutionnel, 4 avis publics des formations consultatives du Conseil d’Etat, une trentaine de décisions contentieuses, dont 6 fichées). La violation du principe de non régression est ainsi devenue un moyen de légalité courant, et assez efficace.


Le Conseil d’Etat en a fait une première application positive (annulation partielle d’un décret) dans son arrêt du 8 décembre 2017, Fédération Allier Nature relatif à la modification d’une rubrique du tableau annexé à l’article R. 122-2 du Code de l’environnement, sortant du champ d’application de l’évaluation environnementale les projets d’aménagement de pistes permanentes de courses d’essais pour véhicules motorisés d’une emprise inférieure à 4 hectares et la construction d’équipements sportifs et de loisirs susceptibles d’accueillir une nombre inférieur ou égal à 5.000 personnes (voir cons. n°3 et n°5, CE 8 décembre 2017 Fédération Allier Nature, req. n°404391). Il s’agit d’une application positive, mais nuancée, du principe. Le Conseil d’Etat a annulé la partie du décret qui réduisait totalement le champ d’application de l’étude d’impact tout en admettant la légalité du simple assouplissement de son champ d’application :


« 3. Considérant qu’une réglementation soumettant certains types de projets à l’obligation de réaliser une évaluation environnementale après un examen au cas par cas effectué par l’autorité environnementale alors qu’ils étaient auparavant au nombre de ceux devant faire l’objet d’une évaluation environnementale de façon systématique ne méconnaît pas, par là-même, le principe de non-régression de la protection de l’environnement énoncé au II de l’article L. 110-1 du code de l’environnement dès lors que, dans les deux cas, les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement doivent faire l’objet, en application de l’article L. 122-1 du code de l’environnement, d’une évaluation environnementale ; qu’en revanche, une réglementation exemptant de toute évaluation environnementale un type de projets antérieurement soumis à l’obligation d’évaluation environnementale après un examen au cas par cas n’est conforme au principe de non-régression de la protection de l’environnement que si ce type de projets, eu égard à sa nature, à ses dimensions et à sa localisation et compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, n’est pas susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine »


Ce faisant, le juge administratif s’est conservé une marge d’appréciation assez large de la non régression et de son pouvoir de la sanctionner.


Le Conseil d’Etat en a fait une application (négative cette fois) en jugeant que les textes accordés aux préfets pour déroger à certaines règles ne sauraient s’interpréter comme permettant de méconnaître le principe de non régression (CE, 6e et 5e ch. réunies, 17 juin 2019, Association Les Amis de la Terre, req. n° 421871).


Un autre exemple d’application positive du principe de non régression mérite l’attention, cette fois par un Tribunal administratif, dans le cadre d’un plein contentieux relatif à l’implantation d’unité de méthanisation en zone sensible. Le Tribunal juge, au visa que du principe de non régression, compte tenu de la protection de la ressource en eau du secteur et de son classement en zone vulnérable, que l’autorisation environnementale contestée doit être réformée pour garantir l'effectivité des mesures de contrôle de l'impact du site sur les eaux. Il ajoute ainsi (ce qui est possible en plein contentieux) un article à l'arrêté d’autorisation environnementale précisant qu’il « appartient à l'exploitant de mandater, tous les ans, un organisme tiers spécialisé pour contrôler la qualité des eaux » (TA Toulouse, 3 déc. 2019, Association France Nature environnement, req. n° 1702066 ; 1703048).




En l’état actuel de la jurisprudence administrative, plusieurs enseignements peuvent être tirés.


Sur le champ d’application du principe :


- Le principe de non régression s’applique aux règles de procédures comme aux règles de fond (voir par exemple l’avis du Conseil d’Etat sur l’évolution de la nomenclature ICPE).


- Le principe de non régression semble invocable (la jurisprudence reste encore à préciser sur ce point) à l’encontre des règles d’urbanisme dès lors que ces règles ont trait à la « protection de l’environnement » (CE 14 juin 2018, Association Fédération environnementale durable et autres, req. n°409227, publié aux Tables du Recueil, AJDA 2018 p. 1245) ; le principe d’indépendance des législations ne jouant pas dans cette hypothèse (voir Malverti et Beaufils, Chronique de jurisprudence du Conseil d’Etat – Principe de non régression : on avance, AJDA, 23 novembre 2020, n°39, p. 2246).


- Le principe de non régression n’est pas invocable à l’encontre des dispositions réglementaires qui assouplissent un état du droit résultant directement d’un changement législatif (CE 14 octobre 2020, Association Agir Espèce et autres, req. n°426241).


Sur l’appréciation de l’éventuelle régression :


- Le principe de non régression s’apprécie concrètement au regard des justifications qui peuvent se trouver dans l’analyse des impacts d’un texte, en tenant compte des effets prévisibles sur l’environnement des dispositions envisagées, sans se limiter à une analyse littérale des textes (Avis du Conseil d’Etat n°394461 et n°395200).


- Le principe de non régression s’apprécie par « problématique ou par écosystème » ; il ne s’agit pas de compenser des régressions sur un point par des progrès sur d’autres.


Ainsi, la portée et le champ d’application de ce principe de non régression se précisent.


Même après la décision du Conseil constitutionnel du 10 décembre 2020, il reste bien des questions en suspens et un débat à venir sans doute sur l’éventuelle initiative du constituant pour enrichir la Charte de l’environnement.




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