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Espèces protégées : le CE précise le "seuil" à partir duquel une dérogation doit être sollicitée

Par un Avis Contentieux rendu le 9 décembre 2022, sur question préjudicielle de la Cour administrative d'appel de Douai, le Conseil d'Etat a répondu à deux épineuses questions relatives aux modalités d'application des dispositions du Code de l'environnement interdisant de porter atteinte à une espèce protégée sauf dérogation accordée dans le respect de trois conditions strictes (cf. art. L. 411-2 du Code de l'environnement).


Ces questions portaient, non pas sur les conditions d'octroi de la dérogation (voir sur ce sujet nos billets notamment sur la notion de "raison impérative d'intérêt public majeur"), mais sur le seuil à partir duquel le dépôt d'un dossier de demande de dérogation est nécessaire.


En quelque sorte, les questions revenaient à s'interroger sur la largeur des mailles du filet qui attrape les projets de travaux pour les soumettre à une "dérogation espèces protégées". Et donc sur les marges de manoeuvres laissées aux autorités de l'Etat en charge de l'instruction de ces dossiers.


Précisément, les questions, étaient les suivantes :


" 1°) Lorsque l’autorité administrative est saisie d’une demande d’autorisation environnementale sur le fondement du 2° de l’article L. 181-1 du code de l’environnement, suffit-il, pour qu’elle soit tenue d’exiger du pétitionnaire qu’il sollicite l’octroi de la dérogation prévue par le 4° du I de l’article L. 411-2 de ce code, que le projet soit susceptible d’entraîner la mutilation, la destruction ou la perturbation intentionnelle d’un seul spécimen d’une des espèces mentionnées dans les arrêtés ministériels du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009 visés ci-dessus ou la destruction, l’altération ou la dégradation d’un seul de leur habitat, ou faut-il que le projet soit susceptible d’entraîner ces atteintes sur une part significative de ces spécimens ou habitats, en tenant compte notamment de leur nombre et du régime de protection applicable aux espèces concernées ?"


"2°) Dans chacune de ces hypothèses, l’autorité administrative doit-elle tenir compte de la probabilité de réalisation du risque d’atteinte à ces espèces ou des effets prévisibles des mesures proposées par le pétitionnaire tendant à éviter, réduire ou compenser les incidences du projet ?"



Nouvelle notion de "risque suffisamment caractérisé"


Dans son Avis Contentieux du 9 novembre 2022, le Conseil d'Etat estime tout d'abord qu'une dérogation s'impose dès lors que les "des spécimens" de l'espèce protégée sont présents dans la zone :


"4. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus, qui concerne les espèces de mammifères terrestres et d’oiseaux figurant sur les listes fixées par les arrêtés du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009, impose d’examiner si l’obtention d’une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l’espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l’applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l’état de conservation des espèces protégées présentes".


Sur ce point, le Conseil d'Etat écarte une interprétation, soutenue par certains maîtres d'ouvrage et retenue par certaines juridictions (notamment pour les grands projets d'infrastructures linéaires), tendant à n'exiger une dérogation que s'il est porté atteinte à une population, et non simplement à un nombre réduit de spécimens. L'interprétation retenue ici par le Conseil d'Etat est plus stricte que certaines tendances jurisprudentielles.


Le Conseil d'Etat apporte ensuite un peu de la souplesse réclamée par les aménageurs en estimant qu'une dérogation n'est pas requise si le risque d'atteinte est insignifiant, au regard des mesures d'évitement et de réduction d'ores et déjà proposées par le maître d'ouvrage du projet.


Plus exactement, le Conseil d'Etat émet l'avis qu'une dérogation ne s'impose que s'il existe un risque d'atteinte "suffisamment caractérisé" pour les espèces protégées :


"5. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation « espèces protégées » si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d’évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l’hypothèse où les mesures d’évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l’administration, des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu’il apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé, il n’est pas nécessaire de solliciter une dérogation « espèces protégées ».


Cette interprétation du Conseil d'Etat est-elle conforme à celle retenue par la CJUE qui repose sur une protection stricte (voir par exemple : CJUE 17 avril 2018, Commission contre République de Pologne, aff. C-441/17) ? La doctrine en débat déjà.



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